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Voilà déjà plusieurs heures qu’Isamu marchait inlassablement, parcourant les ruines de la cité maudite sous un soleil de plomb avec pour seule compagnie le vol distant de quelques corbeaux semblant l’observer de loin comme ils observeraient leur futur repas. La chaleur caniculaire lui brûlait un peu plus les poumons à chaque inspiration, le sol brulant semblait pouvoir faire fondre le cuir de ses bottes à chacun de ses pas, comme s’il marchait sur un tapis de braises. Et pourtant il avançait, persévérant contre tout espoir, luttant jusqu’au bout pour sa survie, et c’était peu dire qu’elle ne tenait plus qu’à un fil. Il ne comprenait pas comment il avait pu en arriver là, il était pourtant la plus fine lame de sa bande, et plusieurs fois déjà il leur avait sauvé la mise par ses prouesses martiales. Qu’est ce qui avait bien pu se passer pour qu’ils décident de l’abandonner lâchement en le dépouillant de ses armes et de sa bourse ? Peut être faisait-il un peu trop d’ombre à leur chef, trop fier pour admettre qu’il était meilleur que lui, ou peut-être avait-il simplement la langue trop bien pendue, ce qui plusieurs fois par le passé déjà lui avait attiré les foudres de ses congénères ? Toutes ces question qui ne trouvaient aucun écho dans son esprit, aussi loin qu’il arrivait à fouiller dans sa mémoire, il ne se rappelait rien qui eu justifié de son sort, et les relents brumeux de la bière de Bugmann qu’ils avaient bu la veille lui donnaient encore plus mal à la tête, comme si la bosse dont l’avaient gratifié ses compagnons ne suffisait pas...
Il avançait encore et toujours, d’un pas plus qu’incertain titubant parfois, cherchant au maximum à progresser dans l’ombre des quelques bâtiments branlant qui encadraient ce qui autrefois devait être une rue. Fort heureusement pour lui, depuis son réveil ce matin là, il avait croisé sur la route quelques cadavres de combattants plus infortunés que lui dont il avait emprunté les armes, mais aucun d’eux n’avait encore de quoi se désaltérer, et sous cette chaleur écrasante, ce constat prenait des airs de condamnation à mort…
Aaaah ! S’il pouvait leur mettre la main dessus, il leur ferait payer leur traitrise, et donnerait ce qu’il lui reste de force pour en emporter le plus possible avec lui dans l’autre monde. Il regardait la lame de sa nouvelle épée, celle là même qui il n’y a pas si longtemps devait appartenir à un noble s’il devait en croire les vêtements du cadavre des mains duquel il l’avait extirpée, elle semblait en bon état et de bonne facture, son fil ne comportait pas même l’ombre d’un éclat, comme si elle n’avait pas eu le temps de servir avant que son précédent propriétaire ne passe l’arme à gauche. Dans un soupir, Isamu espérait qu’il aurait plus de chance que ce malheureux. Rangeant son épée, il sortit un bout de chiffon pour s’éponger le front dégoulinant de sueur et poursuivit sa route encore quelques mètres avant de finalement s’assoir sur un tas de débris pour récupérer un peu son souffle. Le soleil approchait de son zénith, écrasant un peu plus encore le sol déjà si aride, la décomposition des cadavres alentours, qu’on devinait à l’odeur, atteignait son paroxysme, et renvoyait un peu plus à notre malheureux Isamu l’image prochaine de son funeste destin, lorsque soudain… Un cri de bataille vint traverser le silence et le tirer de ses pensées… Il connaissait cette voix, ça ne pouvait être qu’eux, ça ne faisait aucun doute même. Il se releva soudainement, rassemblant ses forces et ses esprits, il saisit une nouvelle fois la garde de son épée pour la brandir devant lui prêt au combat, et entreprit de gravir le tas de décombres au-delà duquel il percevait de plus en plus de chahut, entremêlant hurlements des guerriers et cliquetis du métal de leurs armes, il comprit qu’un combat venait de s’engager… Il hâta son allure autant qu’il pu pour atteindre le haut du talus, sûr de tenir sa vengeance… Quoi qui puissent avoir engagé le combat face à ces maudits chiens, il se rallierait à eux pour leur faire mordre la poussière… Œil pour œil et dent pour dent… Mais lorsqu’il atteignit le sommet, le hurlement qu’il entendit soudain ne lui figura rien d’humain… Aucun des scénarii qu’il avait envisagé subitement ne l’avait préparé à ça. Il avait désormais un visuel sur la scène qui se déroulait de l’autre côté de la butte, et ce qu’il vit lui glaça le sang… Devant lui s’étendait une vision apocalyptique, ses anciens compagnons gisaient déjà pour la plupart éparpillés et démembrés un peu partout devant lui, seuls ses camarades les plus doués offraient encore une bien maigre résistance devant l’abomination qu’ils affrontaient… Jamais de toute sa longue carrière il n’avait vu pareille chose, et même dans les pires récits fantasques d’aventuriers de comptoirs des auberges malfamées il n’avait entendu parler d’un pareil monstre… Cette horreur faisait au bas mot deux fois la taille d’un homme et devait certainement être à moitié démon, sa tête arborait deux immenses paires de cornes, son bras droit se prolongeait d’une immense pince, tandis que deux bras évoluaient sur son côté gauche, brassant les airs à grands coups d’une gigantesque masse, et une immense queue garnie d’un dard suintant s’agitait dans les airs au dessus de sa tête… Que pouvait donc être ce monstre ? Quels enfers avaient vu sa naissance ? Son sang ne fit qu’un tour dans son cœur, oubliant d’un seul coup tous les griefs contre ses camarades, sans plus hésiter une seconde, Isamu se mit en quête de charger la bête… Que lui passait-il par la tête ? Pourquoi faisait-il ça alors que le bon sens dirait de faire demi-tour et de fuir à toutes jambes ? Il ne se contrôlait plus, pourtant presque à bout de force quelques instants auparavant, il ne sentait désormais plus rien de sa douleur, sa fatigue semblait évanouie, il courait vers le monstre sans même sentir le sol sous ses pas… Plus rien n’avait d’importance… Il fondit sur sa proie avec une grande hargne, esquivant la terrible queue puis assenant un premier coup d’épée sur le haut de sa cuisse gauche, mais tandis que l’acier pénétrait les chairs du monstre, une gerbe de sang jaillit de la plaie en éclaboussant son bras gauche. Une terrible douleur vint alors lui décrocher un hurlement, le sang du monstre était si acide qu’il semblait ronger ses propres chairs… Le démon se tourna lentement vers lui, délaissant pour quelques instants ses précédentes proies, puis regardant Isamu dans le blanc des yeux, lui décocha un si terrible hurlement que son cœur faillit s’arrêter net de frayeur, peut être même l’eut-il fait l’espace d’un instant avant de reprendre… A peine eut-il le temps de reprendre ses esprits que le monstre lui balançait deux grands coups de masse, lui brisant plusieurs côtes et le projetant à plusieurs mètres de lui… Il n’avait pas fait un pli, le monstre avait eu raison de lui en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire… Entre temps le chef de sa bande et ses autres compagnons avaient profité de sa diversion pour foutre le camp, il les apercevait encore au loin, filant comme des dératés… Finalement, lui qui espérait leur mort quelques instants plus tôt venait bien de donner sa vie pour sauver la leur… Mais que lui avait-il pris encore ? Pourquoi fallait-il qu’il réagisse de la sorte à chaque fois ? Ce désir de défendre les faibles qui lui giclait au visage comme un devoir dont il ne pourrait jamais se détourner, venait probablement de lui couter la vie de la façon la plus bête qui soit… Il respirait de plus en plus mal, une côte ayant certainement perforé son poumon droit, le remplissant de sang… Il toussa violemment, crachant une gerbe de sang, son flanc lui faisait souffrir le martyr… D’un coup tout lui ressurgit subitement, la chaleur, l’exténuation, et la douleur de ses blessures en plus pour couronner le tout… Il leva les yeux… Le monstre était toujours là, le regardant tranquillement, comme un chat jouant avec sa proie agonisant mais encore vivante. Un sentiment de délectation sembla se dégager de l’expression de sa face, le monstre jouissait de sa propre mise à mort, attendant le moment où Isamu lui cèderait, acceptant son sort… Ce dernier était lui aussi devenu étrangement calme, comprenant qu’il ne lui restait que quelques instants de vie… Il ferma les yeux, laissant son esprit vagabonder dans les méandres de ses souvenirs, il repensa à toutes ses batailles victorieuses ou non, à toutes les femmes qu’il eut connu charnellement, à tous les tripots qu’il eut fréquenté et les brigands qu’il y rencontra, enfin il repensa à son enfance et surtout à travers elle à sa mère qu’il n’avait plus vu depuis lors, emporté par la peste noire. Il la revit souriante penchée sur son berceau avec son beau visage d’ange, elle semblait immortelle tant elle était belle et sur cette dernière image, le puissant dard du monstre lui pénétra le cœur, arrêtant net ses souffrances et ses pensées… Il ne sera désormais rien de plus que l’un de ces déjà innombrables cadavres qu’il avait pris l’habitude de croiser parmi les ruines de dangereuse et maudite cité de Mordheim.